Les bons de souscription d’actions ont longtemps été l’outil privilégié par les sociétés sous LBO pour la structuration de management packages pour les équipes dirigeantes afin d’aligner leurs intérêts avec ceux de leurs investisseurs.
A la suite de redressements conduits par l’administration fiscale, plusieurs jurisprudences sont récemment venues contester la légalité de ces structurations sur le terrain fiscal de l’abus de droit.
Comment ont évolué les pratiques et vers quelles alternatives se tourner désormais ?
Les "Management packages", ou "manpacks", sont couramment utilisés pour aligner les objectifs des dirigeants avec ceux des investisseurs. L'idée est d'indexer les gains des dirigeants sur la valeur créée pour les investisseurs, assurant ainsi que les dirigeants / managers clés aient un intérêt tangible au succès de l'entreprise. En raison de la capacité financière généralement plus limitée des dirigeants par rapport aux fonds d'investissement, leur participation au capital de la holding de reprise serait modeste sans ces mécanismes.
Pour augmenter leur potentiel de plus-value lors de la sortie, certains outils permettent un accès immédiat ou différé au capital à des conditions de valorisation préférentielles par rapport à celles appliquées aux fonds : il s’agit de management packages. Pour ce faire, les parties prenantes disposent d’une palette d’outils : bons de souscription d’actions (BSA), actions ordinaires ou de préférence, promesses, options, stock-options…
Parmi cette gamme d’outils, les BSA ont longtemps été privilégiés par les fonds dans le cadre de manpack, car ils permettent d’ajuster la participation des dirigeants en fonction de l’atteinte d’objectifs et d'augmenter ainsi leur part de plus-value lors de la cession. D'un point de vue fiscal, il était également plus avantageux d'opter pour des BSA, soumis à une flat tax de 30%, plutôt que des bonus dont les plus-values étaient généralement imposées à des taux oscillant entre 45% et 49% pour les salariés.
La fiscalité des BSA (Bons de Souscription d'Actions) a connu plusieurs évolutions majeures à la suite de décisions de l’Administration Fiscale, rendant au fil du temps son intérêt de plus en plus limité.
Avant 2013, l'Administration Fiscale avait tenté à plusieurs reprises de redresser les dirigeants de sociétés sous LBO ayant placé les outils de leur management package dans un PEA pour bénéficier de l'exonération d'impôt offerte par ce dernier. Cependant, ces tentatives ont eu peu de succès en raison de l'absence de jurisprudence sur la question. Avec la rectification de la loi de Finance de 2013 (article 13, II de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013), le contexte change drastiquement. Les BSA souscrits à compter du 1er janvier 2014 sont désormais exclus des plans d'épargne en actions (PEA).
Par la suite, l'administration fiscale a mis en évidence l'abus de droit dans l'utilisation des BSA pour les management packages, entraînant un changement majeur dans les pratiques. Dans l'arrêt Gaillochet (CE 26 septembre 2014 Gaillochet, n° 365573), le Conseil d’Etat a clairement établi que les gains obtenus grâce à des conditions préférentielles, sans prise de risque significative ou investissement jugé conséquent, doivent être considérés comme un avantage financier et être taxés comme tels. Dans un document publié en avril 2015, intitulé « Carte des pratiques et montages abusifs », la direction générale des finances publiques a renforcé ce point en notant que les management packages « ne sont pas systématiquement frauduleux », mais peuvent conduire à « bénéficier indûment des avantages liés au régime fiscal des plus-values de cession de valeurs mobilières ». Depuis l’arrêt Gaillochet et la publication de la carte des radars fiscaux, la question de l’imposition des gains issus des management packages reste très présente, aussi bien du côté des juridictions que du Comité de l’Abus de Droit.
Plusieurs décisions des tribunaux administratifs concernant des Management Packages constitués sous la forme de BSA et d'actions de préférence (TA Paris, 12 juillet 2016, n° 1431589, M. et Mme C) ont été rendues dans la continuité de ces évolutions. L'essentiel de ces décisions a été de signaler à l'administration fiscale que la requalification en salaire du bénéfice réalisé par un manager nécessite de prouver l'existence d'un avantage salarial. Cet avantage peut se manifester soit par la souscription à des instruments de management package à un coût inférieur à leur valeur marchande, soit par une absence de risque financier pour leur détenteur. En s'inscrivant dans la continuité de l'arrêt Gaillochet, les juges doivent désormais chercher en premier lieu à identifier s’il existe ou non un avantage direct pour le manager lors de l'instauration du management package avant d’étudier le lien entre l’attribution de BSA et son implication dans la gestion de l'entreprise. Cette approche a l'avantage de la simplicité : si le management package révèle l'existence d'un avantage pour le manager, il convient alors d'examiner si cette contrepartie résulte de son activité professionnelle au sein de l'entreprise. Si aucun avantage n'est apparent, la requalification est sans fondement.
Au-delà d’un pur aspect fiscal s’ajoute la question du traitement social des BSA. La question est notamment abordée à l’occasion de la jurisprudence « Barrière » de 2019 pour laquelle la Cour de cassation a établi que l’avantage soumis à cotisations sociales devait être évalué en fonction de la « valeur des bons à la date à laquelle les bénéficiaires en ont obtenu la libre disposition » (cass. civ., 2e ch., 4 avril 2019, n° 17-24470 FSPBRI). Cependant, cette décision soulevait des difficultés pratiques et a mené la Cour de Cassation a opéré un revirement jurisprudentiel en 2023 en considérant que l'avantage devait être évalué « à la date de cession ou de réalisation des bons en fonction du gain obtenu ou de l'économie réalisée par le bénéficiaire » (cass. civ., 2e ch., 28 septembre 2023, n° 21-20685 FSB). Ainsi, la plus-value doit désormais être calculée à la date d’exercice effectif des BSA et correspond à la différence entre :
Aussi, le fait générateur des cotisations est donc la cession ou l’exercice des BSA pour la Cour de cassation, et non plus simplement l’ouverture de la période au cours de laquelle ces opérations sont rendues possibles.
Du point de vue fiscal, trois décisions rendues par le Conseil d'État le 13 juillet 2021 marquent une évolution importante dans la jurisprudence. Elles établissent que l'appréciation de la requalification en salaire du gain total issu du "management package" doit désormais être analysée de manière distincte pour chaque gain réalisé par les managers. Le Conseil d'État a précisé que le caractère préférentiel du prix d'acquisition de l'instrument n'a pas d'incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement lors de l'exercice d'options ou de bons, ni lors de la cession des titres acquis ou des bons. Il est important de noter que l’existence de conditions préférentielles avait déjà été évoquée lors de la jurisprudence “Barrière” sans autres indications. Il a fallu attendre la décision du 28 septembre 2023 de la deuxième chambre civile pour que ce point soit complété. Selon elle, la nature préférentielle des conditions résulte (cass. civ., 2e ch., 28 septembre 2023, n° 21-20685 FSB) :
La Cour affirme cependant que les conditions financières de la souscription constituent « un simple indice » du caractère préférentiel de cette attribution de BSA.
Les décisions prises le 13 juillet 2021 ont également apporté un nouvel angle sur l'année d'imposition de cet avantage. Il serait désormais imposable lors de l'année de l'acquisition ou de la souscription des options ou BSA, conformément aux articles 79 et 82 du Code général des impôts, et non à la date de la cession de l'instrument financier. Cette position est très stricte car le salarié ou le dirigeant doit s’acquitter d’un coût fiscal immédiat sans avoir reçu de revenu de la cession des BSA ou des actions résultant de l'exercice des BSA ou des options d'achat.
Enfin, en février 2024, le Conseil d'État a opéré un revirement sur l’exclusion des BSA dans les PEA qui était précisé dans le deuxième alinéa du n° 585 du BOI : « sont interdits l’inscription dans un PEA non seulement de ces droits et bons, mais également des actions qu’ils permettent d’acquérir ou souscrire. En effet, ces droits ou bons ne peuvent être ni inscrits, ni exercés, ni cédés dans le plan » (BOI précité n° 585). Dans sa décision du 8 décembre 2023 (8ème et 3ème Chambres réunies n°482922), le Conseil d’Etat a jugé que les commentaires du BOFIP ajoutent à la loi et a annulé la position du juge. Il précise que l’inéligibilité des BSA et BSPCE au PEA n’interdit pas de placer sur le PEA les actions issues de l’exercice de BSPCE ou BSA en payant le prix de souscription au moyen du compartiment espèces de son PEA.
En conclusion, malgré les tentatives de clarification par la jurisprudence, le traitement fiscal et social des BSA demeure complexe et incertain, dépendant fortement des conditions spécifiques d’attribution. Cette incertitude juridique, associée à l'investissement initial nécessaire du bénéficiaire, rend les autres dispositifs d’actionnariat salarié, mieux encadrés juridiquement, plus attrayants.
Les dernières jurisprudences mettent également en lumière le risque réel de requalification en salaire des gains issus des packages structurés sous la forme de BSA ou d'options. Dans ce contexte, les AGADP (Actions Gratuites De Préférence) apparaissent comme des alternatives intéressantes aux BSA dans le cadre des manpacks. Ceux-ci ont vu leur usage augmenter significativement, passant de 9% en 2019 à 31% en 2022. Les actions de Actions de préférences ratchet classiques demeurent toutefois l’instrument le plus utilisé (données de CFNews). Il est cependant, important de noter que l'utilisation des AGADP reste limitée par des contraintes telles que le plafond à 10 % du capital social et la période minimale d'attribution et d'acquisition de deux ans au total. Ces contraintes peuvent constituer des obstacles importants pour certains acteurs.
Par ailleurs, les récentes évolutions de la jurisprudence sur les BSA apportent de nouvelles problématiques techniques. Par exemple, le Conseil d'Etat stipule que pour éviter une double imposition du profit à l'entrée, le profit à la sortie doit être calculé en prenant en compte "l'avantage qui aurait éventuellement été taxé" à l'entrée. Cependant, la mise en œuvre pratique de ce mode de calcul soulève des questions lorsque l'administration a laissé expirer le délai de reprise lié à l'imposition d'un gain salarial non déclaré à l'entrée.
Dans ce contexte incertain, il est essentiel que les entreprises, les managers et les actionnaires soient bien informés et conseillés sur les implications fiscales et juridiques de leur choix. Cela permettra non seulement de minimiser les risques, mais aussi de maximiser les avantages potentiels de leur participation au capital de l'entreprise.
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