Gouvernance

Gouvernance : Anatomie d’un board performant

Découvrez comment concevoir un board performant : mandat clair, taille optimale, compétences ciblées et gouvernance agile pour décider mieux et plus vite.


Un board ne sert pas à cocher une case de conformité. C’est une machine à décisions, dont la performance dépend de son design. La vitesse, la qualité et la traçabilité des décisions qu’il produit façonnent directement la trajectoire d’une organisation. Un bon board ne se juge donc pas au prestige des CVs, mais à sa capacité à clarifier qui décide quoi, à quel rythme, avec quelles informations et avec quels garde-fous

Voici quelques clés concrètes pour construire un board à la fois efficace, légitime et aligné sur votre stratégie.

💡 A SAVOIR

Les développements qui suivent ne traitent pas spécifiquement des conseils d'administration ou conseils de surveillance des sociétés anonymes (SA), dont le fonctionnement est en grande partie encadré par le Code de commerce. Ils s'intéressent spécifiquement aux organes de gouvernance des sociétés par actions simplifiées (SAS), le plus souvent désignés sous le terme anglais de « board ». C'est ce terme que nous utiliserons par la suite pour désigner l'organe collégial chargé de la supervision stratégique et du contrôle de la gestion dans les SAS, structure juridique privilégiée par la majorité des sociétés françaises soutenues par des fonds d’investissement. Toutefois, les diverses recommandations ci-dessous, dans la mesure où elles ne contreviennent pas aux dispositions impératives du code de commerce, peuvent garder toute leur pertinence dans le contexte d’un conseil d’administration ou conseil de surveillance.

 

Clarifier le mandat avant les personnes

Un board utile se construit comme une équipe produit senior. Avant les noms, vient le mandat. Pourquoi avez‑vous besoin d'un board maintenant ? Quelles sont les décisions majeures qu'il devra challenger dans les douze prochains mois et quels risques doit‑il encadrer sans étouffer l'innovation ? Quels sont les rôles de chacun au sein de ce board ? Mettre ce cadre par écrit évite les malentendus et permet de donner un cap.

Côté processus stratégique, la séparation des rôles est clé: le CEO définit la stratégie soumise au board, le board la challenge et propose des ajustements, et in fine le CEO tranche. La décision finale doit être appuyée par l'ensemble des membres du board en dépit des divergences qui ont pu exister au cours du processus décisionnel. Si le désaccord devient irréconciliable, le levier du board reste le remplacement du CEO et non l'imposition d'une stratégie que l'exécutif n'endosserait pas.

 

💡 CAS BEN & JERRY'S VS UNILEVER (2021–2025) — LA "GUERRE DES GLACES"
  • Point de départ : en 2021, la décision de Ben & Jerry's de cesser ses ventes en Cisjordanie ouvre une fracture durable avec Unilever. Ce qui aurait pu rester un désaccord interne devient rapidement un cas d'école sur les limites de l'autonomie d'une marque militante au sein d'un groupe coté.
  • Escalade : les contentieux se multiplient, les communiqués se contredisent. La tension monte dans les couloirs comme dans les médias. Le conflit ne porte plus seulement sur une décision commerciale, mais sur la question fondamentale : jusqu'où une filiale peut-elle incarner ses valeurs lorsque celles-ci heurtent la maison-mère ?
  • Dénouement partiel (2025) : Jerry Greenfield, cofondateur iconique, claque la porte en dénonçant une « censure » et une « perte d'âme ». Son départ résonne comme un aveu d'échec : le désalignement entre direction et board n'a jamais été résolu. Il est devenu spectacle public.
  • Leçons de gouvernance : fixer par écrit, dès l'origine, le périmètre d'autonomie des filiales et prévoir des mécanismes d'arbitrage clairs entre management et board est essentiel pour désamorcer les crises.

 


Par ailleurs, pour ancrer la responsabilité du board, quelques décisions « réservées » méritent un cadrage explicite: vote du budget annuel, politiques de rémunération des fondateurs et des cadres clés (sur benchmarks de marché et, idéalement, via un comité Rémunérations), supervision des plans d'equity pour les employés et décisions hors cours normal des affaires (exemple : opération M&A, dette ou nantissements). Documentez les seuils et modalités dans une annexe de pacte et revoyez‑les régulièrement.

 

Choisir une taille qui préserve la vitesse

La taille du board conditionne la qualité des échanges. Entre 3 et 5 membres sont suffisants pour les sociétés avec un stade de développement encore limité (jusqu'à une série B) afin de couvrir l'essentiel des compétences sans perdre la vitesse de délibération.

Quelques règles simples permettent de préserver son efficacité:

  • Garder un nombre impair de membres pour limiter les blocages
  • N'ajouter que le représentant du fonds qui a été en "lead" lors du tour de financement afin de limiter la taille du board et d'éviter d'alourdir la dynamique
  • Prévoir la sortie automatique d'un représentant investisseur lorsqu'un seuil de détention n'est plus atteint, afin de prévenir l'inflation du board et de faire de la sortie d'un membre un évènement purement "mécanique" sans ouvrir des discussions qui peuvent s'avérer compliquées
  • Redéfinir la composition à chaque tour et accepter le principe d'un remplacement d'un membre existant pour faire entrer une nouvelle compétence

Pour faciliter les transitions, pensez à documenter dans vos statuts un mécanisme de cooptation provisoire : lorsqu'un siège se libère, le board peut désigner un remplaçant temporaire jusqu'à la prochaine assemblée, évitant ainsi toute paralysie liée aux seuils de quorum ou de majorité qualifiée (notamment quand un siège « investisseur » est vacant).

 

💡 CAS DE COOPTATION À UN MOMENT CRITIQUE — ALSTOM (MARS 2024)
  • Situation : à l’approche d’une scission des rôles de président du conseil et de CEO annoncée pour l’AG de juin 2024, le conseil devait assurer la continuité de gouvernance.
  • Décision : cooptation de Philippe Petitcolin comme administrateur indépendant pour remplacer Jay Walder (démissionnaire) jusqu’à l’AG, avec ratification prévue le 20 juin 2024. Walder a été nommé Observateur jusqu’à cette date.
  • Intérêt de la cooptation : éviter un “trou d’air” de gouvernance et stabiliser le board pendant une phase charnière (réallocation des rôles au sommet) sans attendre le calendrier formel des élections.



Composer par « trous de compétences »

Plus la société mûrit, plus il devient essentiel de séparer présence aux réunions et appartenance formelle au board. Le contrôle de l'action du management exige de ne pas être juge et partie : un manager opérationnel ne devrait donc pas siéger formellement au conseil. Les C-Level, en particulier, peuvent intervenir pour éclairer les débats, mais leur présence doit rester technique, non statutaire. À mesure que l'organisation se structure, élargissez cette séparation aux fondateurs salariés, à l'exception du CEO.

Par ailleurs, faites entrer tôt au moins un administrateur indépendant afin d'assurer l'efficacité de votre board. Calibrez un engagement clair et limitez le mandat à 2 ans sans reconduction automatique afin de préserver l'adéquation des profils aux phases de développement. Ce cadre facilite les renouvellements sereins et évite les « erreurs de casting » qui durent.

Comment choisir un administrateur indépendant ?

Composer le board ne consiste pas à « cocher des carnets d'adresses », mais à combler des trous de compétences. La bonne approche consiste à cartographier les expertises qui manquent à la société (expertise sectorielle, expérience sur des sujets clés, etc.) et à opter pour un profil soutenu conjointement par fondateurs et investisseurs, capable d'équilibrer les débats.

 

💡 CAS REVOLUT — FRÉDÉRIC OUDÉA ET LA GOUVERNANCE COMME LEVIER STRATÉGIQUE (2025)

La nomination de Frédéric Oudéa à la présidence de Revolut Western Europe en 2025 montre comment la composition d'un board peut servir une stratégie d'accès à des marchés régulés tout en préservant un ADN produit rapide. Après avoir dirigé Société Générale pendant quinze ans et présidé la Fédération bancaire européenne, Oudéa apporte une triple valeur stratégique :

  • Crédibilité réglementaire : sa connaissance des superviseurs européens (ACPR, BCE) facilite le dialogue dans le cadre de la demande de licence bancaire française, indispensable pour déployer l'offre de crédit de Revolut à grande échelle.
  • Expertise de transformation : avoir piloté la digitalisation d'une banque systémique démontre qu'il maîtrise l'équation que Revolut cherche à résoudre — conjuguer vélocité fintech et robustesse bancaire.
  • Levier de négociation : face aux régulateurs et aux investisseurs institutionnels, sa présence devient un signal de maturité qui rassure et accélère les décisions.

Cette stratégie s'accompagne d'une gouvernance élargie incluant Beatrice Cossa-Dumurgier (CEO zone), ainsi que Brigitte Cantaloube, Pierre Decote, Siddhartha Jajodia et Pascal Pincemin comme administrateur indépendant. Revolut ne recrute pas simplement des « beaux noms » : chaque profil comble un trou de compétence précis au service d'une ambition — passer du statut de challenger à celui d'institution bancaire européenne, sans sacrifier la vitesse d'exécution. La composition du board devient un véritable levier d'accélération, non une contrainte de conformité.

 

Enfin, veillez à la parité : les sociétés de plus de 500 salariés (250 depuis le 1er janvier 2020) et présentant un chiffre d'affaires ou un bilan d'au moins 50 millions d'euros doivent respecter un quota minimum de 40% de chaque sexe dans leurs boards. Même en deçà de ces seuils, c'est une bonne pratique qui enrichit la gouvernance et renforce la légitimité des décisions.

 

Outillage et garde‑fous

1. Règles de vote et résolutions

Établissez un cadre de vote adapté à chaque type de décision, en équilibrant trois exigences :

  • agilité opérationnelle pour les fondateurs
  • espace de délibération collective pour construire le consensus
  • sauvegarde des intérêts essentiels des investisseurs.

La répartition des « Décisions Réservées » selon différents seuils de majorité nécessite un dosage précis. Un droit de veto des représentants investisseurs se justifie lorsque la décision affecte directement la structure de leur participation — par exemple, créer une nouvelle catégorie d'actions avec des droits préférentiels ou modifier leurs droits économiques. En revanche, pour les décisions stratégiques majeures qui relèvent avant tout de l'orientation de l'entreprise, un seuil trop restrictif risque de bloquer l'exécution.

Une pratique courante consiste à soumettre les opérations de croissance externe au-delà d'un certain montant à une majorité qualifiée du board, intégrant au minimum le vote d'un administrateur indépendant ou d'un représentant investisseur. Listez en annexe du pacte les décisions soumises à validation du board, précisez les seuils applicables, et révisez-les à chaque étape clé du développement.

2. Rappel de l'intérêt social

En droit français, les administrateurs représentent l'intérêt de la société (et non uniquement celui des actionnaires). En cas de tension, ce principe doit être rappelé, en particulier par les indépendants. Il oriente les arbitrages du board lorsque la stratégie optimale pour l'entreprise diverge des préférences de certains actionnaires de court terme.

Passer à l'action

En pratique, un diagnostic rapide permet de passer à l'action en suivant ces étapes clés :

  1. Clarifiez le mandat du board : Définissez explicitement les responsabilités du conseil (validation de la stratégie, suivi de la performance, décisions réservées) et distinguez-les clairement de celles du management opérationnel.
  2. Fixez une fourchette de taille et les règles d'observateurs : Déterminez le nombre idéal de membres (généralement 3 à 5 en early stage) et précisez qui peut assister aux réunions en tant qu'observateur sans droit de vote (investisseurs minoritaires, conseillers clés).
  3. Remplissez une grille de compétences : Cartographiez les expertises actuelles de la société et de son board, et identifiez les manques critiques (expertise sectorielle, expérience réglementaire, compétences internationales, etc.) pour objectiver vos besoins.
  4. Décidez de la proportion d'indépendants : Fixez le nombre d'administrateurs indépendants nécessaires (au moins un dès la série A) et lancez la recherche en ciblant des profils qui comblent précisément les trous de compétences identifiés.
  5. Finalisez les chartes de comités : Si vous créez des comités spécialisés (audit, rémunérations), formalisez leur composition, leur fréquence de réunion et leur périmètre d'intervention.
  6. Établissez la politique de conflits d'intérêts : Définissez les situations qui constituent un conflit (transactions avec parties liées, concurrence directe) et la procédure à suivre (déclaration préalable, abstention de vote).
  7. Planifiez l'onboarding : Préparez un kit d'intégration complet pour chaque nouveau membre (documents de gouvernance, historique stratégique, données financières clés) et organisez des sessions individuelles avec les fondateurs et le management.

Vous obtenez ainsi un board conçu pour décider mieux, plus vite, et de façon traçable.

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